Faire toute la couleur*

« C'est ainsi que j'ai considéré que la couleur seule pouvait suffire à la peinture. Encore fallait-il pouvoir l'utiliser avec le maximum de précision et c'est cette précision que m'ont donnée les moyens informatiques. » D. Jézéquel (Accords, suites)

    Nous l'avons déjà écrit, les oeuvres de Dominique Jézéquel ne se livrent pas tout en se présentant : à la fois présent et présence, elles gênent, dans un premier mouvement, par leur évidence qui ne peut s’éluder ou se contourner. Elles proposent une édification, elles conduisent, pourvu que l'on s'en donne le temps et l'attention, à une rêverie, telle que l'analyse Julien Gracq dans Les Yeux bien ouverts (Corti, 1961) : « Si j'aime bien l'expression de Hugo "la pente de la rêverie", c'est qu'elle met l'accent sur l'accélération qui me paraît être son élément essentiel et qui s'achève sur l'impression que la tête tourne, c'est-à-dire que le moment est venu de commencer à fixer. »

      Pour avoir pratiqué l'exercice un certain nombre de fois chez Dominique et chez moi, couleurs et lumières, fixées attentivement, éveillent quasi musicalement, suscitent des états de sommeil éveillé, d'« attention flottante » dirait un psychanalyste. Pensons également au sonnet des voyelles de Rimbaud, qui joue sur les associations

        A noir, E blanc , I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
              Je dirai quelque jour vos naissances latentes,

    On retrouve ce double mouvement de surgissement (illumination) et de secret : du donné à voir et de l'obscur hypnotique, du possible enfoui, irriguant : latence onirique de ces associations de couleurs qui, en chacun, appellent à réveiller les images, débusquer les émotions, ranimer les saveurs.

    Importe la forme, qui a sa logique et introduit un rythme, du quatuor. On sait qu'en musique (Beethoven, Chostakovitch, Bartok...) celle-ci est un « passage initiatique au terme duquel le compositeur dépasse ses propres limites » (Liouba Bouscant). Ici, elle est source de variations et de circulation, détournant l'apparence passive de statisme au profit d'une sollicitation qui nous tourne la tête, les sens. Proprement, car c'est un des sens du quatuor de faire tourner un thème, des thèmes. Pour finir, voici ce qui me retient chez Dominique : l'alliance du musical et du pictural. De la mélodie née du glissement imperceptible des tonalités. Du jeu déplié des couleurs qui serait à lire, sorte de colorimancie. Ce pouvoir pur, enfin, de lever la couleur pour nous entraîner sur un territoire que l'on dira aujourd'hui par facilité être celui du poème, ou constituer l'esquisse d'une sorte d'art lumineux de la fugue. Ou mieux : d'art de la fugue lumineuse ?